Comment les entreprises peuvent-elles mieux gérer leur capital naturel ?

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Comment les entreprises peuvent-elles mieux gérer leur capital naturel ? Comprendre les écosystèmes: 5 étapes pour gérer les risques et les opportunités liés au « capital naturel ».

Chaque mois, le REDD met en lumière un défi clé pour les dirigeants d'entreprises en matière de développement durable. Ces défis ont été identifiés par le Conseil des Leaders du REDD, un groupe d'entreprises canadiennes reconnues pour leur leadership en matière de développement durable. Ce mois-ci, l'accent est mis sur la façon dont les entreprises peuvent mieux gérer le capital naturel – les ressources naturelles qui alimentent la croissance économique. Nancy Olewiler, directrice de l'École de politique publique à l'Université Simon Fraser, et Michelle Molnar, économiste de l'environnement et analyste des politiques à la Fondation David Suzuki, fournissent des conseils sur le sujet.

Nous assistons actuellement à un changement de paradigme. Autrefois, les entreprises considéraient la nature comme un fournisseur de ressources gratuites pouvant être utilisées comme facteur de production. Elles ont déversé des déchets dans l’eau sans s’interroger sur les effets de ces rejets; elles ont coupé du bois d’œuvre dans les vastes étendues de forêts disponibles sans se préoccuper de replanter des arbres.

Aujourd’hui, les chefs d’entreprise avisés sont conscients du rôle fondamental que jouent les écosystèmes naturels dans les activités des entreprises. Ils reconnaissent que les écosystèmes naturels intacts constituent des actifs économiques.

La valeur de la nature

Le terme capital naturel désigne les ressources naturelles renouvelables et non renouvelables de notre planète – la terre, l’air, l’eau et les nombreux et divers écosystèmes qui permettent la vie. Le capital naturel nous procure des biens et des services économiquement précieux ou des « services écosystémiques ». Certains éléments de ce capital, tels que les minéraux, le pétrole, le gaz, les forêts commerciales et les pêches, possèdent des marchés bien définis. D’autres, tels que les microorganismes du sol, notre atmosphère et l’eau de qualité que nous buvons et que nous utilisons pour la production, ne sont pas échangés sur les marchés mais permettent la vie.

Presque toutes les activités commerciales profitent d’une manière ou d’une autre des écosystèmes naturels. Par exemple, l’eau douce joue un rôle critique dans de nombreux processus industriels, dans des secteurs allant de l’agriculture à l’exploitation minière; le secteur pharmaceutique repose sur les ressources génétiques sauvages; les environnements naturels font tourner l’industrie touristique et les zones humides et les forêts intactes protègent les constructions des inondations, des tempêtes et d’autres catastrophes naturelles. Même la productivité du travail dépend du capital naturel : des environnements sains favorisent la santé physique et mentale des travailleurs et réduisent l’absentéisme.

Pourtant, le capital naturel n’est pas toujours pris en compte. Souvent, les décideurs oublient les services écosystémiques. Cette situation provient, en partie, du fait que les services écosystémiques ne sont pas échangés sur les marchés – ils ne peuvent simplement appartenir à personne. Trop souvent, la valeur d’un service écosystémique n’est appréciée que lorsque le service se détériore ou se raréfie. Demandez à l’agriculteur qui a besoin de polliniser artificiellement ses cultures ou au propriétaire d’une entreprise dont les primes d’assurance augmentent lorsque les zones humides et les forêts locales saccagées favorisent les inondations sur sa propriété. Certes, les règlements peuvent protéger certains services écosystémiques, mais ils demeurent une solution limitée.

Risques et possibilités pour les entreprises Les entreprises peuvent intégrer le capital naturel à leur planification. La dégradation de l’environnement présente des risques pour les entreprises tandis que la protection de l’environnement leur offre des possibilités.

Reconnaissance des risques pour les entreprises. La dégradation des systèmes naturels crée des risques pour les entreprises. Celles-ci doivent s’assurer de protéger – ou de faire protéger par d’autres entités responsables – les ressources dont elles ont besoin. Par exemple, une entreprise forestière verra la productivité de sa forêt de seconde et de troisième venue décliner si elle n’investit pas dans la productivité de sa terre. Un fabricant de produits alimentaires qui dépend de l’eau douce verra ses coûts de production augmenter s’il doit traiter l’eau avant de l’utiliser. Les entreprises doivent également s’assurer que leur traitement du capital naturel respecte les normes de différents groupes externes. Les progrès effectués dans la mesure du capital naturel amèneront les actionnaires et les clients à examiner de plus près les impacts des actions des entreprises et favoriseront l’adoption d’une règlementation environnementale de plus en plus sévère. Les risques peuvent également être indirects, lorsque différentes entreprises exploitent des services écosystémiques concurrents. Par exemple, un fabricant pourrait souffrir d’une augmentation des coûts des matières premières en raison de la concurrence pour l’utilisation des terres.

Reconnaissance des possibilités commerciales. Les entreprises qui définissent, évaluent et gèrent précocement les risques pour les services écosystémiques se dotent d’un avantage concurrentiel. Les entreprises qui comprennent leur relation avec le capital naturel peuvent trouver des solutions inexploitées pour en empêcher le déclin. Certaines capitaliseront sur la préservation de l’environnement. Elles pourront élaborer de nouvelles technologies et mettre en place de nouvelles pratiques pour réduire la dégradation et accroitre l’efficacité. D’autres se démarqueront de leurs concurrents en intégrant des considérations liées au capital naturel à leurs systèmes de gestion et à leur planification; les investisseurs et les clients sont de plus en plus intéressés par ce type de vision.

Dans la section suivante, nous expliquons comment les entreprises peuvent minimiser les risques et maximiser les possibilités associés au capital naturel.

5 étapes clés pour les entreprises

Les propriétaires et les gestionnaires d’entreprises devraient suivre les cinq étapes suivantes pour améliorer la relation de leur entreprise avec le capital naturel. Les activités traditionnelles de mesure et de planification environnementales ne prennent pas systématiquement en compte le capital naturel, en partie parce que les enjeux varient d’un secteur à l’autre, voire au sein d’un même secteur. Les liens entre les entreprises et le capital naturel dépendent de l’endroit où est située l’entreprise, de la source de matières premières, du lieu où se trouvent les clients et des technologies employées. Les cinq étapes suivantes pourraient montrer qu’une entreprise a bien défini certaines menaces (p. ex. le changement climatique), mais en a négligé d’autres (p. ex. la perte d’habitat).

1. Choisir la portée :
L’entreprise doit choisir une limite avant d’effectuer sa première analyse du capital naturel. En effet, l’analyse peut être axée sur un lieu, une unité opérationnelle, une gamme de produits, une installation, un produit, un segment de clients ou un actif naturel possédé par l’entreprise en particulier, par exemple, un marché en croissance rapide, une gamme de produits importante ou l’unité opérationnelle qui dispose de la plus grande part de marché. La portée choisie doit revêtir une importance stratégique et recevoir des appuis à l’interne de manière à pouvoir influencer les décisions opérationnelles.

2. Définir les services écosystémiques prioritaires :
Une fois la portée choisie, l’entreprise doit se demander quels services écosystémiques peuvent influencer ses opérations. Elle doit regarder « en amont » dans la chaîne d’approvisionnement afin de comprendre de quelle manière les fournisseurs clés influent sur les services écosystémiques, mais également « en aval » pour comprendre les effets de ses produits sur les services écosystémiques. L’entreprise doit recenser entre 10 et 15 services écosystémiques qu’elle influence ou dont elle dépend, puis choisir entre trois et cinq services prioritaires pour la prochaine étape. Il convient de choisir en priorité les services qui répondent aux critères suivants : 1) servir de facteur de production dans les processus opérationnels ou accroître les chances de réussite des opérations (c.-à-d. être vital pour les activités de l’entreprise); 2) ne pas avoir de substitut économique à faible impact (c.-à-d. être difficile à remplacer).

3. Analyser les tendances dans les services écosystémiques prioritaires :
Pour chaque service écosystémique prioritaire déterminé à l’étape 2, l’entreprise doit réfléchir à sa situation du moment et à ses perspectives d’avenir. La situation est-elle stable? L’entreprise a-t-elle des raisons de s’inquiéter? L’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire offre de l’information sur le statut de certains services écosystémiques, notamment des précisions sur les tendances internationales dans son rapport de synthèse des entreprises et des industries, ainsi que par l’entremise de publications nationales et locales sur la santé de l’environnement.

4. Définir les risques et les possibilités pour l’entreprise :
L’entreprise doit évaluer les risques et les possibilités découlant de la situation et des tendances déterminées à l’étape 3. Ces risques et ces possibilités peuvent se présenter à différents niveaux, notamment au niveau opérationnel, règlementaire, commercial, financier ou de la réputation. Par exemple :

  • le risque opérationnel qui consiste à manquer de plus en plus d’eau douce pourrait susciter la construction d’une zone humide sur le site de l’entreprise pour filtrer les déchets;

  • le risque règlementaire qui consiste en l’imposition de nouveaux frais d’utilisation pourrait susciter une collaboration avec le gouvernement afin d’élaborer de nouvelles mesures incitatives pour préserver et rétablir les services écosystémiques;

  • le risque financier qui consiste en une augmentation des dépenses en immobilisations en réponse à la mise en œuvre de critères d’investissement plus sévères de la part des investisseurs pourrait susciter la mise en place de conditions de financement plus favorables aux entreprises qui améliorent l’efficacité des ressources.

5. Élaborer des stratégies :
Une fois qu’elle a établi une liste des risques et des possibilités, l’entreprise peut commencer à élaborer des stratégies visant à minimiser les risques et à exploiter les possibilités. Elle peut élaborer trois types de stratégies : des changements internes , y compris la transformation des opérations ou des stratégies de produits ou de marketing; l’engagement du secteur ou des actionnaires afin de s’attaquer collectivement aux risques et aux possibilités (p. ex. payer des propriétaires fonciers pour protéger une alimentation en eau); l’engagement des responsables des politiques afin de pouvoir compter sur la capacité gouvernementale pour protéger les services écosystémiques. La pertinence de chacune de ces stratégies dépend de la situation de l’entreprise; il convient d’examiner des critères communs tels que le rendement du capital investi ou la facilité de mise en œuvre.

Ces étapes permettront à l’entreprise de s’inscrire dans le nouveau paradigme formé par les entreprises qui s’efforcent de protéger le capital naturel et ses services écosystémiques connexes – au profit des résultats de l’entreprise et de la planète en général.

Ressources supplémentaires

  • The Corporate Ecosystem Services Review: Guidelines for Identifying Business Risks and Opportunities Arising from Ecosystem Change(World Resources Institute, Meridian Institute and World Business Council for Sustainable Development). Le rapport présente de l’information détaillée sur l’approche en cinq étapes décrite ci-dessus.

  • Ecosystems and Human Well-being: Opportunities and Challenges for Business and Industry(Millenium Ecosystem Assessment). Le rapport présente un aperçu des tendances internationales dans les différents services écosystémiques et des conséquences pour les entreprises.

  • The Economics of Ecosystems and Biodiversity for Business. Le projet décrit l’intégration du capital naturel dans les pratiques courantes des entreprises. Le Résumé exécutif en offre un aperçu.

  • Natural Capitalism. L’ouvrage décrit le capital naturel comme une lentille posée sur une nouvelle révolution industrielle et présente quatre principes clés pour les entreprises.

  • The Natural Value Initiative. L’initiative collabore avec le secteur financier pour déterminer les risques liés aux services écosystémiques. Les rapports sont axés sur des secteurs spécifiques, tels que l’agriculture, l’exploitation minière et le secteur pharmaceutique.

À propos des auteures

Nancy Olewiler dirige la School of Public Policy à l’Université Simon Fraser, à Vancouver, en Colombie-Britannique. Titulaire d’un doctorat en économie de l’Université de la Colombie-Britannique, Nancy Olewiler effectue des recherches, entre autres, sur les ressources naturelles et les politiques environnementales, les effets de la règlementation environnementale sur l’économie et la politique fiscale environnementale. Nancy Olewiler a publié dans des revues spécialisées et dans des ouvrages publiés, et a produit un grand nombre de rapports pour les gouvernements fédéral et provinciaux canadiens sur une variété de questions liées à l’environnement et aux ressources naturelles. Mme Olewiler occupe également les fonctions de mentor de recherche pour le Programme d’économie environnementale pour l’Asie du Sud-Est et le Programme d’économie environnementale de l’Amérique latine et des Caraïbes.

Michelle Molnar est économiste de l'environnement et analyste des politiques à la Fondation David Suzuki. Elle a obtenu sa maîtrise à l'Université Simon Fraser. Son travail se concentre sur la conservation du capital naturel en utilisant les outils de l'économie écologique et l'analyse des politiques, comme l'analyse coût bénéfice pour l'environnement, l'évaluation du capital naturel et réforme fiscale écologique. Avant de se joindre à la Fondation David Suzuki, elle a travaillé comme économiste pour Environnement Canada, où elle a développé un Guide de l'analyse avantages pour les employés de quantifier les biens et services non marchands.


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