Comment la collaboration a pu mettre fin à un conflit long de plusieurs décennies : le cas de la forêt pluviale Great Bear

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Exemple d'un partenariat multisectoriel positif pour les parties prenantes

Les partenariats multisectoriels peuvent aider à résoudre des problématiques complexes de développement durable qui demandent beaucoup de ressources et impliquent les intérêts de plusieurs parties prenantes.

En lien avec le récent rapport du REDD intitulé Les partenariats au service du développement durable, nous mettons ici de l’avant un exemple de partenariat qui a mené à la résolution d’un conflit de plusieurs décennies.

Le conflit

La forêt pluviale Great Bear s’étend sur 6,4 millions d’hectares sur la côte de Colombie-Britannique. Dans ce secteur, l’exploitation forestière a été effectuée à grande échelle pendant plus d’un siècle. À partir des années 80, l’exploitation forestière est toutefois devenue de plus en plus controversée opposant les environnementalistes, cherchant à protéger les écosystèmes de forêts anciennes, à l’industrie du bois, à la recherche d’arbres de grande taille et de bois de qualité.

Ce faisant, une multitude de parties prenantes ont émergé :

  • Les environnementalistes. Plusieurs groupes environnementalistes furent impliqués incluant le Sierra Club of BC, ForestEthics, Greenpeace et le Rainforest Action Network.

  • L’industrie. Les compagnies oeuvrant dans le secteur incluaient Canadian Forest Products, International Forest Products (Interfor), Western Forest Products et Weyerhauser

  • Le gouvernement. Le gouvernement provincial fut étroitement impliqué dans le processus puisque 90% du territoire de la Colombie-Britannique est de propriété publique.

  • Les Premières Nations et autres communautés locales. La région était constituée d’au moins 27 Premières Nations. L’économie était centrée sur l’extraction des ressources et on y observait un fort taux de chômage.

De l’isolement à la collaboration

Au départ, les différents groupes de parties prenantes n’ont pas réussi à collaborer, lançant chacun des initiatives isolées. Par exemple, de 1997 à 1999, les groupes environnementaux ont fait campagne pour le boycottage des produits forestiers provenant de la province, ce qu’on d’ailleurs fait certaines entreprises telles que Home Depot et Ikea.

Graduellement toutefois, les groupes de parties prenantes ont commencé à développer des partenariats. Les industries forestières ont entre autres formé la Forest Conservation Initiative en 2000 visant à développer une approche plus conciliante envers les groupes environnementaux. Parallèlement, les groupes environnementaux ont développé une alliance visant à mieux coordonner leurs activités, le Rainforest Solutions Project. Finalement, les industries et les groupes environnementaux ont formé une coalition intitulée le Joint Solutions Project (JSP).

Accord de principe

Des accords de principe survenus en 2001 entre le gouvernement de la province et plusieurs autres parties prenantes amenèrent la reconnaissance de deux principes de base, soit la gestion écosystémique (ou la gestion basée sur la prise compte des écosystèmes) ainsi qu’une plus grande implication des Premières Nations en matière de gouvernance. Malgré ce consensus, la transformation de ces principes en actions concrètes ne fut pas chose facile. Il aura fallu cinq ans, plus d’une douzaine de comités et des milliers d’heures de réunion pour y arriver.

Les éléments clés du processus incluaient :

  • Une indépendance scientifique. De façon à fournir une base scientifique à la gestion écosystémique, les groupes de parties prenantes ont créé et financé le Coast Information Team (CIT). Le CIT, composé de scientifiques et de praticiens indépendants, a ainsi pu fournir des données pouvant être jugées comme fiables par toutes les parties prenantes.

  • Respect des besoins de la communauté. Les Premières Nations ainsi que les communautés locales ont mis au défi les environnementalistes de développer des alternatives économiques à l’exploitation forestière pour soutenir une nouvelle économie basée sur la conservation. Les environnementalistes ont donc développé le concept du financement pour la conservation, qui fournit les fonds aux communautés pour développer de nouveaux concepts commerciaux qui protègent la biodiversité.

  • Médiation. Des médiateurs professionnels ont joué un rôle essentiel pour garder les discussions sur la bonne voie.

  • Respect des droits légaux des Premières Nations. Les groupes de parties prenantes ont développé un processus novateur de négociation à deux niveaux. Alors que les groupes de parties prenantes, incluant les Premières Nations, préparaient un plan initial, les Premières Nations finalisaient les négociations avec le gouvernement provincial dans une optique de discussions entre deux « gouvernements ».

Les accords en action

En février 2006, les accords Great Bear Rainforest Agreements furent annoncés. Les accords bannissaient immédiatement l’exploitation forestière sur 33 % de la région et amenaient l’engagement d’une gestion écosystémique de la forêt pour l’entièreté de la forêt pluviale Great Bear à partir de 2009. Les accords ont officialisé l’implication des Premières Nations dans le processus décisionnel et la mise en œuvre du financement de la conservation pour permettre la diversification économique.

Deux étapes subséquentes ont permis de développer ces mêmes accords. En 2009, les partis se sont entendus pour une cible provisoire visant à conserver 50 % des arbres matures de la région. Suite à des négociations additionnelles, les groupes industriels et environnementalistes se sont entendus en 2014 sur une cible visant à conserver 70 % de la forêt pluviale Great Bear. Le gouvernement provincial et les Premières Nations planifient d’ailleurs de réviser et approuver cet accord au cours de l’année 2014.

Forte approbation

L’accord de 2014 a obtenu l’appui des représentants de chacun des groupes de parties prenantes. Ric Slaco, chef forestier chez Interfor explique : « Ce n’est pas une question de capituler. C’est une question de compréhension. Il s’agit d’amener un nouveau mode de pensée à une vieille problématique conflictuelle. »

Art Sterrit, directeur exécutif du groupe autochtone Coastal First Nations mentionne : « Je pense que nous arriverons à compléter cela. Il n’y a aucun doute. » Steve Thomson, le ministre provincial des forêts a félicité les parties prenantes pour « leur recherche de solutions tenant compte à la fois de l’environnement et de l’économie locale. » Valerie Langer du groupe environnemental ForestEthics Solutions a mentionné que l’accord « maximise la conservation tout en minimisant l’impact sur l’approvisionnement en bois. »

Choses à retenir

La collaboration n’est jamais chose facile. Le processus de collaboration pour la forêt pluviale Great Bear a pris des décennies et a passé près d’être stoppé à plusieurs reprises. La collaboration peut toutefois amener des solutions nouvelles. Dans ce cas-ci, les parties prenantes sont parvenues à un accord mutuellement satisfaisant et, ce faisant, ont créé de multiples innovations, allant du financement de la conservation à un nouveau modèle permettant une plus grande implication des Premières Nations en matière de gouvernance.

Remerciements

Le REDD tient à remercier Ric Slaco, chef forestier chez Interfor ainsi que Marc-Andre Lafrance, Dara Finney et Paula Brand d’Environnement Canada pour la révision de cette étude de cas. Cette étude de cas a été rendue possible grâce à la participation financière d’Environnement Canada.


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