Comment financer votre stratégie de développement durable

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Les investissements à retombées sociales et les obligations vertes peuvent inciter votre entreprise à prendre des mesures durables.

Rod Lohin est directeur général du Michael Lee-Chin Family Institute for Corporate Citizenship à la Rotman School of Management de l’Université de Toronto.

Les professionnels du développement durable (et les universitaires qui étudient leur travail) répondent depuis des années à des questions difficiles. Le développement durable se prête-t-il à une analyse de rentabilité? (oui) Pouvons-nous déterminer quels sont les enjeux sociaux et environnementaux les plus importants pour nos entreprises? (oui) Est-il possible de mesurer les pratiques de développement durable et d’en rendre compte de façon crédible? (oui) Pouvons-nous apporter de la valeur aux entreprises et à la société? (oui) En termes simples, les entreprises les plus durables réussissent généralement mieux.

Mais malgré ces progrès, de nombreux professionnels du développement durable ont encore du mal à obtenir des budgets à l’interne. Il leur est particulièrement difficile d’obtenir des capitaux à long terme pour de grands projets pluriannuels.

Le fait est que même si nous savons dans quelle direction nous voulons aller, nous manquons parfois de capital – le carburant nécessaire pour réaliser de meilleurs avantages sociaux et environnementaux.

Le manque de financement est un problème courant

Dans le cadre de nos travaux de recherche et de consultation auprès de l’Institut Lee-Chin et de nos réseaux, nous avons constaté que des grandes entreprises font une partie du chemin, mais manquent de carburant en cours de route. Elles mettent au point une stratégie audacieuse en matière de développement durable, élaborent des programmes novateurs à l’appui de cette stratégie et obtiennent un soutien pour les coûts initiaux du projet grâce à des budgets annuels de philanthropie, de commandite ou d’autres budgets de dépenses.

Cependant, lorsqu’elles présentent les exigences de capital à long terme à la haute direction, leurs projets sont contrecarrés par les caractéristiques typiques de bon nombre d’investissements socialement responsables (ISR) : la complexité, les retombées à long terme et les rendements financiers modestes ou modérés. Autrement dit, elles peuvent échouer au test de l’allocation interne des fonds propres.

Certains chefs d’entreprise suffisamment influents décident d’investir de toute façon. La direction de Wal-Mart a investi dans un énorme projet de gestion durable de la chaîne d’approvisionnement qui a eu une portée mondiale, l’a aidé à gérer les risques et à se présenter sous un nouveau jour aux consommateurs. Sous Paul Polman, Unilever s’est repositionnée en tant qu’entreprise privilégiant un « mode de vie durable » et a constamment surpassé ses concurrents sur les marchés publics pendant plus de 10 ans.

Mais en l’absence d’un engagement clair de la part de la direction, comment les professionnels du développement durable peuvent-ils obtenir le capital nécessaire? Comment pouvons-nous financer des projets à plus long terme avec des taux de rendement plus faibles, mais s’accompagnant d’importantes retombées à long terme pour l’entreprise et pour le monde entier? Comment pouvons-nous tirer meilleur parti des marchés des capitaux et des capacités financières de nos entreprises pour soutenir les avantages sociaux et environnementaux, ainsi que commerciaux?

Envisager les obligations vertes et les investissements à retombées sociales

Le marché en plein essor des investissements durables et responsables (ISR) pourrait être une réponse. Dans le monde entier, les investissements axés sur le développement durable sont de plus en plus prisés. Selon la Global Sustainable Investment Alliance, le marché pour tous les types d’offres d’ISR confondus a atteint 22,90 billions de dollars américains (26,3 % de tous les marchés financiers mondiaux) en 2015. Les obligations vertes et les investissements à retombées sociales peuvent constituer les deux approches les plus pertinentes pour les praticiens du développement durable au sein des entreprises :

Alimenter l’action avec des obligations vertes

Les obligations vertes (émises par le secteur public ou privé) permettent de recueillir des fonds pour des projets bénéfiques pour l’environnement (réaménagement, énergie propre, atténuation de la pollution, etc.). Elles offrent un taux de rendement sûr et prévisible pour les investisseurs, souvent légèrement inférieur à celui des obligations plus traditionnelles. Fait remarquable, les émissions d’obligations vertes ont été multipliées par plus de 100 entre 2012 et 2017, pour passer de 3 milliards de dollars américains à 389 milliards de dollars américains (selon la Climate Bond Initiative).

Pour les professionnels du développement durable (et leurs entreprises), il y a là une occasion à saisir. Le coût du capital des obligations vertes peut parfois être inférieur à celui d’autres sources, même internes. Dans ce cas, le capital externe pourrait être plus attirant que le capital interne. Les entreprises qui ont accès à des fonds par des obligations vertes pourraient affecter des fonds internes à leurs projets d’immobilisations les plus prometteurs tout en finançant davantage d’activités favorables à l’environnement.

Les entreprises peuvent utiliser les obligations vertes de deux principales façons : elles peuvent mobiliser leurs propres fonds en émettant une obligation d’entreprise verte ou accéder aux obligations vertes émises par d’autres.

En effet, les entreprises émettent de plus en plus leurs propres obligations vertes. Par exemple, Unilever, Apple et Toyota Finance ont émis des obligations d’une valeur de plusieurs milliards pour financer leurs propres projets.

Mieux encore, ces obligations vertes semblent payer des dividendes à la fois environnementaux et financiers. La chercheuse Caroline Flammer a récemment fait remarquer que les obligations vertes « entraînent une réaction positive des marchés boursiers, une amélioration de la performance financière et environnementale, une augmentation des innovations vertes ainsi qu’une augmentation des actions détenues par des investisseurs à long terme et écologiques ».

Les entreprises peuvent également accéder aux fonds mobilisés par les gouvernements, les municipalités et un éventail d’acteurs privés à l’aide d’obligations vertes. C’est le cas, par exemple, des obligations vertes d’une valeur de plus de 4,35 milliards de dollars américains émises par la Bank of America et, au Canada, de plus de 3 milliards de dollars canadiens émises par l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada.

Toutefois, il existe un risque que ces fonds ne soient pas toujours « verts », c’est-à-dire qu’ils utilisent des définitions différentes de ce qui est considéré comme des investissements écologiques. Par exemple, les obligations vertes originaires de Chine peuvent inclure les technologies du charbon « propre », contrairement à la plupart des autres. Pour assurer la cohérence, les financiers ont de plus en plus recours aux principes des obligations vertes ou à la certification Climate Bonds Standard Certification ainsi qu’à la vérification par une tierce partie.

Alimenter l’action avec des investissements à retombées sociales

Les investissements à retombées sociales sont un autre type d’investissement socialement responsable qui cherche à obtenir un rendement financier en même temps que des retombées sociales et environnementales mesurables (contrairement aux obligations vertes, qui promettent seulement d’investir dans l’environnement, mais sans en mesurer les retombées). Entre 2013 et 2017, le marché mondial des investissements à retombées sociales est passé de 25,4 milliards de dollars américains à 228 milliards de dollars américains (Global Impact Investing Network). Au fur et à mesure que le marché se développe, de grandes institutions financières comme BlackRock et UBS se joignent à des pionniers comme Bridges et Calvert.

Avec tous ces fonds à la recherche d’investissements, les entreprises peuvent accéder à des fonds externes qui concordent avec leurs initiatives environnementales et sociales. Si cela est sans doute plus facile pour les entreprises qui ont un objectif environnemental ou social (par exemple, l’énergie renouvelable ou l’éducation), même les entreprises plus traditionnelles peuvent essayer d’obtenir des investissements pour des projets précis.

Le type d’entreprise et son stade de développement jouent un rôle lorsqu’il s’agit de déterminer comment accéder à ces marchés.

Les entreprises en démarrage ou les entreprises sociales (entreprises ayant un objectif social ou environnemental précis) peuvent se tourner vers une gamme de réseaux d’investisseurs providentiels ou d’investisseurs initiaux, notamment Angel.co ou F6S.

Les entreprises sociales peuvent également explorer les obligations à impact social, de plus en plus connues sous le nom de contrats de rémunération au rendement. Il s’agit d’un instrument de placement complexe dans lequel un investisseur principal (souvent un bailleur de fonds gouvernemental) investit dans une ONG ou un programme qui devrait entraîner un avantage social ou environnemental. Une tierce partie est généralement engagée pour vérifier la réalisation des avantages, ce qui déclenche le paiement à l’ONG. À titre d’exemple récent, citons le programme Action-Réaction, une obligation à impact social de la Fondation des maladies du cœur pour la prévention de l’hypertension, en collaboration avec l’Agence de la santé publique du Canada et le Centre d’investissement d’impact MaRS (CIIM). Toutefois, la complexité des obligations à impact social peut l’emporter sur les avantages.

Les entreprises plus établies peuvent faire appel à d’autres façons de structurer des ententes pour soutenir des projets qui présentent des avantages environnementaux ou sociaux. Les sociétés dotées de capacités financières avancées peuvent envisager des instruments plus complexes comme des options réelles ou des entités à vocation spéciales :

  • Les options réelles donnent à l’investisseur la possibilité d’investir dans un actif (réel) corporel. Par exemple, une entreprise pourrait offrir à un investisseur un meilleur accès à un projet prometteur d’avantages écologiques ou sociaux moyennant un faible investissement initial, avec le droit de choisir par la suite d’accroître sa participation, d’attendre ou d’abandonner le projet.

  • Les entités à vocation spéciale ou entités ad hoc permettent à une société mère de placer un actif dans une filiale et de le titriser ou de l’offrir d’une autre façon aux investisseurs. Cette approche est déjà utilisée pour gérer des milliards, voire des billions de dollars, dans le cadre de partenariats public-privé incluant les gouvernements, les organisations multilatérales et les banques de prêt ou d’investissement. Toutefois, les marchés privés font preuve de réticence à l’égard de cette approche parce qu’elle a été utilisée – de façon corrompue – par Enron.

Besoin d’aide pour trouver des capitaux? Demandez aux experts

Les professionnels du développement durable ont fait beaucoup de progrès pour comprendre comment gérer le risque – et augmenter la valeur – pour leur entreprise. Nous bénéficions de nouvelles capacités, notamment la réalisation d’analyses de rentabilisation plus solides, la compréhension de l’importance relative, la mesure et la production de rapports ainsi que la réalisation d’une valeur commerciale et sociale.

Ce sont là des progrès puissants. Cependant, plus les professionnels du développement durable s’améliorent, plus il devient évident que nous avons besoin de plus de carburant – c’est-à-dire, de plus de ressources financières – pour soutenir nos initiatives de développement durable que les réserves de capitaux internes.

Pour relever ce défi, nous pouvons accéder à de nouvelles réserves de capitaux externes, mais nous devrons apprendre et utiliser un autre ensemble de capacités : le financement et les investissements. Les petites entreprises plus récentes pourraient envisager de demander l’aide de sociétés de conseil spécialisées pour trouver les bons investisseurs. Les grandes entreprises bien établies peuvent faire appel à leurs experts financiers internes.

Heureusement, le marché des investissements est à la recherche de bons projets à financer. Le moment est peut-être venu pour les professionnels du développement durable de travailler avec des experts et nos collègues financiers pour relier notre travail aux marchés financiers et avoir un impact environnemental et social plus positif que jamais.

À propos du Lee-Chin Institute

Le Michael Lee-Chin Family Institute for Corporate Citizenship de la Rotman School of Management de l’Université de Toronto aide les chefs d’entreprise actuels et futurs à comprendre les options, les possibilités et les approches en matière de commerce durables. Nous menons des recherches, mobilisons le milieu des affaires et les étudiants au moyen de publications, d’événements et d’enseignement. Nous consultons également des entreprises pionnières et créons des ressources d’intérêt public, comme OpenImpact.ca, un répertoire des investissements à retombées sociales au Canada.

Pour en savoir plus sur notre travail, visitez notre site Web. Pour suivre notre travail et le travail d’autres chercheurs, suivez-nous sur Twitter ou LinkedIn. Ou écrivez-nous directement à sustainability@rotman.utoronto.ca

À propos de l’auteur

Rod Lohin est directeur administratif de l’Institut Lee-Chin.

Rod supervise les projets de recherche, de subventions et de consultation ainsi que les initiatives de l’Institut Lee-Chin pour atteindre les chefs d’entreprise et mobiliser les étudiants du MBA en matière de développement durable des entreprises. Il enseigne également des cours sur les stratégies de développement durable et les investissements responsables. Il applique les recherches et les outils créés par l’Institut Lee-Chin dans le cadre de projets de consultation avec de grandes sociétés comme RBC Groupe Financier (la plus grande banque du Canada), SunLife, Blackberry et autres. Auparavant, il a été conseiller en gestion au sein de la société pionnière Manifest, où il a travaillé avec des clients comme Ericsson, Kellogg’s et la Fondation des maladies du cœur.

Rod est cofondateur d’OpenImpact, un inventaire de produits d’investissement à retombées sociales au Canada. Rod a également été membre fondateur et trésorier du conseil d’administration de Rise Asset Development, un organisme de microfinancement qui aide les personnes ayant des antécédents de santé mentale et de toxicomanie à explorer l’entrepreneuriat et à bâtir de petites entreprises.


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