La réputation en matière de développement durable, essentielle en temps de crise
La résilience organisationnelle apparaît aujourd’hui, plus que jamais, comme une capacité que toute entreprise doit chercher à développer.
En tant que chef d’entreprise, vous savez que votre bonne réputation constitue l’un de vos principaux atouts. Une impression publique positive de votre entreprise présente une multitude d’avantages, tels qu’une plus grande fidélité des clients et la différenciation de la marque, ou encore de meilleures relations avec les parties prenantes, voire des prix plus élevés.
Dans les périodes difficiles, comme la crise financière mondiale ou la pandémie de Covid‑19, vous pourriez être tenté de mettre la gestion de la réputation en veilleuse pour vous concentrer sur d’autres aspects de votre entreprise qui ont été plongés dans le chaos.
Or ma récente étude, coécrite avec Matthew Grimes (Université de Cambridge), suggère que ce n’est pas une bonne idée. En fait, il serait plutôt judicieux d’accorder plus d’attention à votre réputation en période de bouleversement que le contraire. Cela est d’autant plus vrai en ce qui concerne vos pratiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Nos recherches ont révélé que, pendant les périodes de grandes perturbations, les critiques publiques en matière d’ESG « marquent » la réputation des entreprises, créant une impression durable qui façonne leurs pratiques futures.
La bonne nouvelle : une réputation positive en matière d’ESG pendant les périodes de crise se renforcera, dans un cycle vertueux, dans les années suivant la crise. Une perception positive du public se soldera par de meilleures relations avec les parties prenantes, ce qui vous permettra d’innover encore plus en matière de bonnes pratiques de développement durable, qui à leur tour contribueront à renforcer davantage encore votre réputation.
La mauvaise nouvelle : les entreprises qui font l’objet de nombreuses critiques sur les questions d’ESG en période de crise risquent d’être prises dans un cercle vicieux. L’atteinte à leur réputation limite leur capacité, voire leur motivation, à améliorer leurs pratiques de développement durable après la crise. La réputation de l’entreprise risque ainsi de se détériorer davantage encore.
Nous avons étudié la réputation d’environ 4 800 entreprises réparties dans 76 pays et 62 secteurs d’activité pendant la crise financière de 2007-2009. Nous avons plus particulièrement évalué le nombre de critiques reçues par ces entreprises dans les médias traditionnels et les réseaux sociaux au sujet de leurs pratiques ESG. Nous avons ensuite examiné comment ces critiques ont influencé leurs stratégies de développement durable au cours des dix années qui ont suivi la crise[1].
La réputation en matière d’ESG détermine les mesures de développement durable des entreprises après une crise
Les crises sont des moments où les entreprises font l’objet d’une attention – et de critiques – accrues. Par exemple, pendant la pandémie de la Covid, les investisseurs qui suivent les critère d’ESG ont scruté de près la façon dont les entreprises ont répondu aux employés, aux clients et aux autres parties prenantes.
Pendant la crise financière de 2008-2009, deux tiers des entreprises de notre étude ont fait l’objet de peu ou pas de critiques sur les questions d’ESG (en moyenne moins de 20 articles négatifs par an). Heureusement, ces entreprises ont généralement démontré leur capacité d’apprentissage et d’innovation dans le domaine du développement durable, autant pendant qu’après la crise. Leurs scores en matière d’ESG ont augmenté d’environ 4 % au cours des deux années qui ont suivi la crise, et ont poursuivi selon cette tendance positive.
Exemple : Starbucks est devenue la cible de conflits de travail pendant la crise financière mondiale et a également dû faire face à une concurrence intense lorsque McDonald’s a lancé son espresso. Pourtant, elle a transformé la crise en une occasion de réformer son modèle d’affaires. Elle a mis l’accent sur l’engagement communautaire et lancé des initiatives personnalisées à l’intention des clients qui ont connu un grand succès.
Cependant, 35 % des entreprises ont subi de vives critiques publiques (21 à 650 articles négatifs par an). Elles ont constaté que l’atteinte à leur réputation pendant la crise a engendré des effets difficiles à réparer. Ainsi, l’atteinte à leur réputation a nui à l’acquisition de nouveaux partenaires et fournisseurs. Elles ont également échoué à tirer profit de leurs investissements dans des pratiques durables, car les parties prenantes ont considéré leurs efforts comme de l’« écoblanchiment » et ont scruté leurs pratiques d’encore plus près. Après la crise, le rendement ESG de ces entreprises a chuté d’environ 20 % au cours des deux années suivantes, ce qui a suscité de nouvelles critiques.
Exemple : alors qu’ExxonMobil est critiquée depuis longtemps pour son déni des changements climatiques, ces critiques se sont intensifiées pendant la crise mondiale, avec le lancement de la campagne Strike Out Exxon par Greenpeace USA en 2008. Depuis, l’entreprise a considérablement augmenté ses émissions de CO2 et réduit ses investissements dans les énergies propres. L’entreprise aurait perdu sa motivation de changer, convaincue que les critiques persisteraient quoi qu’elle fasse.
Sur une note positive, nous avons constaté que le cercle vicieux causé par une réputation entachée en temps de crise peut être inversé si l’entreprise fait preuve de détermination et de persévérance. Notre modèle prédit que les entreprises qui persistent dans leurs efforts de développement durables sont capables de transformer un cercle vicieux en un cercle vertueux : l’entreprise devra passer des années, voire plus d’une décennie, à investir dans des pratiques ESG. Ensuite, elle pourra bénéficier d’un cycle vertueux, où sa réputation soutient ses initiatives de développement durable, qui à leur tour améliorent sa réputation. Mais cela est possible, pour celles qui ont la passion d’agir et de changer leurs façons de faire.
Pour réussir, il faut gérer la réalité et la perception
Nous savons que la couverture médiatique ne reflète pas toujours ce que font réellement les entreprises. Notre étude a révélé que les crises peuvent creuser encore plus l’écart entre la réputation d’une entreprise et la réalité de ses actions. Certaines entreprises responsables dans notre étude ont essuyé de nombreuses critiques publiques qu’elles ne méritaient pas. Les entreprises doivent donc investir à la fois dans les pratiques de développement durable et dans la gestion de la réputation, p. ex. privilégier les communications et rendre compte de leurs activités, et établir des relations de confiance avec les principales parties prenantes.
Voici nos recommandations pour les entreprises en période de crise :
Restez concentré sur la réputation en matière d’ESG de votre entreprise. N’oubliez pas que les actions de votre entreprise pendant cette période se « cristalliseront » dans l’esprit du public, de sorte qu’il faut parfois des années pour réparer une réputation endommagée.
Agissez de manière éthique et préparez-vous à des examens minutieux. Reconnaissez que pendant une crise, les actions en matière d’ESG font l’objet d’une attention accrue. Corrigez les points faibles de vos pratiques ESG et traitez vos employés et vos partenaires de la chaîne d’approvisionnement avec dignité et respect. Sachez que les critiques se concentreront probablement sur les questions d’ESG en lien avec la crise. Par exemple, pendant la crise de la Covid, les pratiques des entreprises en matière de gouvernance et de travail ont fait l’objet d’une attention particulière.
Renforcez les communications. Mettez en avant vos efforts en matière d’ESG pendant la crise. N’oubliez pas qu’ils sont d’autant plus appréciés lorsque les temps sont durs.
Maintenez le cap. Si la réputation de votre entreprise a déjà souffert, ne désespérez pas. Briser un cycle est un défi, mais ce n’est pas impossible. Il suffit de faire preuve de patience et de persévérance, et de s’engager sincèrement à prendre les mesures nécessaires.
J’espère que nos recherches en cours encourageront les entreprises à renforcer la confiance et la mobilisation, autant à l’interne qu’avec les parties prenantes externes. Ces liens leur permettront de faire preuve de créativité et d’innovation pour faire face à l’incertitude, protéger leurs employés et construire une société juste et durable.
[1] Une note sur nos méthodes de recherche : Dans notre analyse, nous avons examiné les entreprises qui avaient des pratiques ESG similaires au début de la crise financière, mais qui ont ensuite été exposées à différents niveaux de critique. Cette comparaison nous a permis de comprendre les effets des critiques et de la réputation, plus particulièrement, sur les efforts futurs des entreprises en matière de développement durable.
Pour connaître les critiques reçues par les entreprises, nous avons utilisé la base de données RepRisk, qui couvre les nouvelles négatives en matière d’ESG. Pour connaître les pratiques ESG ou de développement durable des entreprises, nous avons utilisé le score « gestion de l’ESG » de MSCI, qui mesure les politiques, les programmes et les stratégies ESG des entreprises.
À propos de la recherche
Cet article s’inspire du document de travail de Piyasinchai, N. et Grimes, M., Reputational Spirals. Ce travail a remporté le prix du meilleur article à la 2020 IVEY/ARCS PhD Sustainability Academy. Notre article est actuellement à l’étude par une revue; communiquez avec l’autrice pour de plus amples renseignements.
À propos de l’autrice
Nareuporn Piyasinchai est candidate au doctorat dans le groupe thématique Stratégie et commerce international de la Cambridge Judge Business School de l’Université de Cambridge. Elle est titulaire d’une M. Phil. en finance de l’Université de Cambridge et d’un Baccalauréat en économie de l’Université de Chulalongkorn. Avant d’entamer son doctorat, elle a acquis une expérience de l’industrie à la Banque de Thaïlande ainsi qu’au sein du cabinet de conseils en gestion Korn Ferry Hay Group à Bangkok, en Thaïlande.
Mme Piyasinchai s’efforce de comprendre comment et dans quelle mesure les entreprises peuvent prendre l’initiative de résoudre les problèmes du monde à grande échelle et contribuer à une économie durable.