La responsabilité climatique est-elle payante à l’ère de Trump?
Même dans une conjoncture politique défavorable au climat, le marché boursier récompense les entreprises responsables. Les arguments en faveur des investissements climatiques demeurent solides.
Les auteurs sont des chercheurs de l’Université de Zurich et de l’Université Harvard.
Lorsque Donald Trump a été élu en novembre 2016, beaucoup se sont demandé si les investisseurs cesseraient de se soucier des actions climatiques des entreprises. Au cours de sa campagne, M. Trump avait promis à plusieurs reprises d’abolir le Plan pour une énergie propre mis en place par Obama et de retirer les États-Unis de l’Accord de Paris de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) de 2016.
La victoire surprenante de Donald Trump a jeté le doute sur l’engagement des États-Unis à atténuer les changements climatiques. Nous avons décidé de voir comment les actions américaines ont réagi à ce changement politique drastique et à la performance climatique des entreprises.
Dans la conjoncture politique défavorable au climat qui a suivi l’élection de M. Trump, on aurait pu s’attendre à ce qu’investir dans des entreprises respectueuses du climat génère des rendements inférieurs à la moyenne. Après tout, ce type d’allègement des risques et des coûts liés à la réglementation climatique profiterait surtout aux entreprises moins soucieuses de l’environnement. Par ailleurs, les investisseurs seraient moins enclins à tenir compte des facteurs environnementaux et climatiques dans leurs décisions d’investissement.
Or notre étude indique que ces attentes étaient erronées. Certes, la surprise électorale a fait grimper le cours des actions des entreprises des industries très polluantes, du moins à court terme. Cependant, bien que cela puisse sembler contre-intuitif pour certains, les investisseurs ont en réalité réagi à l’élection de Trump en accordant plus de valeur à l’adoption de stratégies avant-gardistes en matière de changement climatique par les entreprises, et non moins.
Selon nos résultats, les marchés financiers adoptent une vision à long terme lorsqu’ils évaluent les politiques des entreprises en matière de changement climatique, ou du moins une vision suffisamment longue pour voir au-delà des changements de politique à court terme.
Comprendre la réponse frappante des investisseurs à la surprise électorale
Dans Ramelli, Wagner, Zeckhauser et Ziegler (2018), nous étudions les réactions des cours des actions américaines au choc climatique de 2016, ainsi qu’à deux événements marquants : l’élection de Donald Trump le 8 novembre 2016 et la nomination de Scott Pruitt – un climatosceptique – à la tête de la Environmental Protection Agency (EPA) le 7 décembre 2016.
Nous avons examiné comment deux différentes dimensions de la performance climatique des entreprises ont influé sur les cours des actions:
L’intensité carbonique, c’est-à-dire l’empreinte climatique actuelle de l’entreprise, définie comme le total annuel absolu des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’entreprise divisé par la valeur de marché de ses capitaux propres; et
La responsabilité climatique, définie comme la mesure dans laquelle les entreprises ont mis en œuvre et continuent de mettre en œuvre des initiatives volontaires d’« autorégulation » pour gérer les occasions et les risques inhérents aux changements climatiques et à la transition vers une économie sobre en carbone.
Les données sur ces deux aspects proviennent de deux grands fournisseurs de données environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) : MSCI KLD et Vigeo Eiris. Il est important de noter que les émissions et la responsabilité climatique ne présentent qu’une faible corrélation, ce qui confirme qu’elles rendent compte de différents aspects de la performance climatique des entreprises.
Nous montrons que les investisseurs ont réagi au choc climatique de 2016 en récompensant à court terme les entreprises des secteurs à fortes émissions. Ce résultat est prévisible et s’inscrit dans la lignée du récit commun rapporté dans les médias.
Cependant, il est frappant de constater qu’aussi bien après l’élection de Trump qu’après la nomination de Pruitt, les investisseurs ont également récompensé les entreprises qui ont adopté des stratégies d’« autorégulation » plus responsables en matière de changements climatiques. Comme l’illustre la figure 1, cette prime de responsabilité climatique est importante sur le plan économique. Par exemple, une désignation de responsabilité climatique avancée selon KLD, statut attribué à 11 % des entreprises de notre échantillon, est associée à un rendement cumulé rajusté en fonction du MEDAF supérieur de 0,81 point de pourcentage à la fin du cinquième jour de bourse suivant l’élection (les autres facteurs restant fixes, notamment le niveau des émissions, des taxes et des revenus étrangers et des effets fixes industriels). De l’élection à la fin de l’année 2016, cet écart a augmenté à 2,25 points de pourcentage.
Responsabilité climatique et rendement des actions
(rendement cumulé rajusté en fonction du MEDAF)
Prime de responsabilité climatique en %
Figure 1 : Prime de la responsabilité climatique
Pourquoi la responsabilité climatique a-t-elle été récompensée?
Nous voyons au moins deux raisons pour lesquelles les entreprises respectueuses du climat auraient surpassé leurs homologues après le choc relatif à la politique climatique de 2016 :
Tout d’abord, les préoccupations croissantes entourant le réchauffement de la planète ont peut-être incité les investisseurs favorables à l’environnement à accepter un taux de rendement inférieur en échange du « sentiment de bien faire » qu’ils éprouvent en investissant dans ces entreprises.
Deuxièmement, les investisseurs peuvent faire monter le cours des actions des entreprises respectueuses du climat aujourd’hui parce qu’ils s’attendent à ce qu’elles réussissent mieux à long terme. Les investisseurs s’attendent peut-être à ce que les futurs investisseurs éprouvent un sentiment de bien faire accru en détenant des titres de telles entreprises au lendemain de l’administration Trump, autant en réaction à ses tactiques que parce que les conditions environnementales se seront dégradées. Il est également possible que les investisseurs prévoient un effet boomerang d’un resserrement important de la réglementation gouvernementale sur le climat après le départ de l’administration Trump, en raison d’une intensification des attitudes ou d’une détérioration des conditions environnementales.
La façon dont les différents types d’investisseurs institutionnels ont ajusté leurs avoirs dans des entreprises climatiquement responsables après l’élection laisse penser que l’amélioration des performances relatives de ces entreprises est au moins en partie attribuable à cette dernière explication. Nous avons constaté que les investisseurs dont les portefeuilles privilégiaient les entreprises respectueuses du climat avant l’élection – ceux qui étaient les plus susceptibles d’éprouver le « sentiment de bien faire » – ont réduit leur participation dans ces entreprises après l’élection.
En revanche, les investisseurs ayant une orientation à long terme – ceux qui sont les plus susceptibles d’acheter des actions d’entreprises respectueuses du climat à des fins stratégiques – ont réorienté leur portefeuille vers des entreprises respectueuses du climat après l’élection. Les investisseurs à long terme semblent donc avoir réagi à l’élection de M. Trump en regardant stratégiquement au-delà de sa présidence, lorsque les investisseurs chercheront davantage des entreprises respectueuses du climat et que la réglementation climatique sera probablement plus stricte qu’elle ne l’aurait été autrement.
Ce que cela signifie pour les investissements climatiques : gardez le cap
Nos conclusions ont trois implications pratiques :
Premièrement, les investisseurs en général devraient accorder plus d’attention à la performance climatique des entreprises, car elle stimule la valeur de l’entreprise.
Deuxièmement, les investisseurs à long terme comme les caisses de retraite peuvent ignorer les changements de politiques climatiques à court terme et intégrer de plus en plus de considérations à long terme liées aux changements climatiques dans leurs décisions de placement.
Enfin, les dirigeants d’entreprises peuvent être assurés que leurs investissements dans la performance climatique seront récompensés par les marchés, même – et surtout – dans le cadre de la politique environnementale américaine actuelle.
Une lueur d’espoir dans un horizon climatique sombre
Nous savons que les forces du marché ne peuvent pas complètement remplacer la réglementation officielle pour corriger les externalités climatiques. Ainsi, l’effet net du résultat électoral de 2016 sur nos perspectives de contenir les changements climatiques reste fortement négatif. Cependant, nous entrevoyons une lueur d’espoir dans cet horizon climatique sombre.
Grâce à l’existence d’un groupe important d’investisseurs qui évaluent les entreprises selon une perspective à long terme, les marchés récompensent déjà à court terme les entreprises faisant preuve de responsabilité climatique. Ils estiment que ces entreprises sont mieux équipées pour jeter les bases d’un avenir plus respectueux du climat, même et particulièrement pendant les périodes où la réglementation néglige d’établir des cadres clairs pour limiter le réchauffement climatique.
Discutez des conclusions de l’article : pour partager votre point de vue et en savoir plus, communiquez avec les auteurs : Stefano Ramelli (stefano.ramelli@bf.uzh.ch), Alexander Wagner (alexander.wagner@bf.uzh.ch), Richard Zeckhauser (richard_zeckhauser@harvard.edu) et Alexandre Ziegler (alexander.ziegler@bf.uzh.ch).
À propos des auteurs
Stefano Ramelli est doctorant au département de banque et finance de l’Université de Zurich. Il s’intéresse à la finance et à la gouvernance d’entreprise, notamment à la pertinence des questions environnementales et sociales sur les marchés financiers. Avant de s’installer à Zurich en 2016, Stefano a travaillé pendant cinq ans dans le domaine des investissements socialement responsables.
Alexander Wagner est professeur agrégé en finances à l’Université de Zurich et membre de la faculté du Swiss Finance Institute. Alex est un expert en gouvernance d’entreprise, en économie comportementale et en économie politique. Il est conseiller juridique indépendant de PricewaterhouseCoopers et président du conseil d’administration de SWIPRA.
Richard J. Zeckhauser est professeur de la chaire Frank Plumpton Ramsey en économie politique à la John F. Kennedy School of Government de l’Université Harvard. Il est membre de l’Econometric Society et de l’American Academy of Sciences ainsi que membre élu de l’Institute of Medicine. Bon nombre de ses recherches stratégiques portent sur les moyens de promouvoir la santé des êtres humains, d’aider les marchés à fonctionner plus efficacement et de favoriser des choix éclairés et appropriés de la part des particuliers et des organismes gouvernementaux.
Alexandre Ziegler est directeur du Centre de gestion de portefeuille de l’Université de Zurich. Ses domaines d’expertise comprennent l’évaluation théorique et empirique des actifs, les modèles d’acquisition de l’information et la théorie des jeux appliquée. Il est titulaire d’un doctorat en finance de l’Université de Saint-Gall et d’un MBA de l’Université de Stanford.
Pour en savoir plus
Ramelli, S., Wagner, A., Zeckhauser, R.J. et Ziegler, A. 29 octobre 2018. Stock price rewards for climate saints and sinners. https://voxeu.org/article/stock-price-rewards-climate-saints-and-sinners.
Ramelli, S., Wagner, A., Zeckhauser, R.J. et Ziegler, A. Novembre 2018. Stock price rewards to climate saints and sinners: Evidence from the Trump election. National Bureau of Economic Research (NBER) Document de travail no 25310. https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3254526.
Ressources Additionnelles