Comment les entreprises peuvent lutter contre la COVID-19 dans les collectivités les plus pauvres

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En Afrique, les entreprises s’efforcent de lutter contre la COVID-19. Mais elles devront réorienter leur réponse pour aider les collectivités les plus pauvres.

Dr Ijeoma Nwagwu est membre de la faculté de leadership et de stratégie en matière de développement durable de l’école de commerce de Lagos, au Nigeria.

La crise de la COVID-19 a déclenché une réponse locale sans précédent en Afrique. Elle a donné lieu à un élan de philanthropie de la part des entreprises et de solidarité communautaire, notamment avec la création du Fonds de solidarité et de la Coalition du secteur privé contre la COVID-19 (CACOVID) du Nigeria. Des dons importants viennent compléter la générosité des particuliers et des petites entreprises pour amortir l’impact socio-économique des mesures de distanciation sociale – quarantaines, couvre-feux, confinement – sur les pauvres.

Le secteur privé a créé un impact que les gouvernements africains n’auraient jamais pu réaliser à eux seuls. Cependant, les actions des entreprises et des gouvernements pour freiner la propagation de COVID-19 se concentrent sur les centres urbains et l’aide humanitaire momentanée. Il est trop tôt pour dresser un bilan complet des efforts d’aide. Mais je constate, grâce à mon travail avec les entreprises à l’école de commerce de Lagos, que les réponses à la crise se concentrent sur l’aide alimentaire et les subventions en espèces aux ménages principalement urbains.

La bataille contre le virus sera gagnée ou perdue dans les collectivités les plus pauvres du continent, qui sont les plus vulnérables à la COVID, et c’est une lutte de longue haleine. Les solutions et le soutien déployés par les entreprises devraient se concentrer en particulier sur les laissés-pour-compte, tels que les agriculteurs pauvres en milieu rural. Les entreprises devraient également relever les défis structurels fondamentaux qui sont antérieurs à COVID-19 et qui en aggravent l’impact aujourd’hui.

Pourquoi les collectivités les plus pauvres sont vulnérables à la COVID-19

Le tissu social en lambeaux en Afrique accroît les impacts de la COVID-19.

La plupart des Africains vivent dans la précarité avec 1,90 $ par jour. Au Nigeria, par exemple, 90 millions de personnes – soit environ la moitié de la population – vivent dans une pauvreté extrême. Leurs conditions de vie alimentent d’autant plus la transmission de la COVID-19. Soixante pour cent de la population du continent – soit 587 millions d’Africains – vivent dans des bidonvilles urbains surpeuplés et insalubres, comme Alexandra, Makoko et Kibera. Dans ces quartiers, il est impossible de mettre en place la distanciation sociale nécessaire pour lutter contre la COVID-19, et les travailleurs du secteur informel refusent de se soumettre à des mesures de confinement qui les empêchent de gagner leur vie.

La pauvreté rurale est encore plus désastreuse. Les pauvres dans les campagnes vivent pour la plupart sans accès aux infrastructures essentielles de santé, d’éducation, d’énergie et de télécommunications. Les catastrophes naturelles et les grandes tendances économiques limitent également la productivité, les revenus et la sécurité alimentaire des pauvres, dont la plupart sont des agriculteurs. Le seul soutien offert aux régions rurales perpétuellement négligées pour faire face à la COVID-19 provient des associations d’entraide communautaires. (À titre d’exemple, la MANSAM, une coalition d’organismes communautaires de femmes et de groupes de la société civile, a lancé une campagne « le Soudan contre le corona » : fabrication de masques, don de fournitures, distribution d’affiches contenant de l’information essentielle et sensibilisation au virus par les médias sociaux).

À première vue, la jeunesse de la population de l’Afrique peut sembler constituer une barrière protectrice importante dans cette pandémie. En Asie, en Europe et en Amérique du Nord, ce sont les personnes âgées de 60 ans et plus qui ont été le plus gravement touchées par la COVID-19. L’âge médian en Afrique est de 19 ans. Cependant, la malnutrition généralisée, l’anémie, la malaria et la tuberculose dans les pays africains peuvent entraîner une incidence plus élevée de formes graves de COVID-19 chez les patients plus jeunes. Ces conditions qui affaiblissent le système immunitaire, conjuguées à la faiblesse des infrastructures de santé publique et à l’exode des médecins vers l’Occident, créent une situation périlleuse.

Repenser la RSE dans un contexte de pandémie

J’ai pu constater, dans le cadre de mon travail avec les entreprises au Centre de développement durable de l’école de commerce de Lagos, que les initiatives de responsabilité sociale des entreprises (RSE) sont généralement des efforts individuels à petite échelle. Ces activités n’abordent pas les défis de manière globale et n’apportent pas l’étendue des ressources et de l’expertise nécessaires. Seule une poignée d’entreprises, principalement des multinationales comme Unilever et Coca-Cola, disposent de cadres de développement durable qui tentent d’adopter une vision systémique et à long terme des problèmes sociaux qu’elles tentent de résoudre. Récemment, certaines grandes entreprises ont lancé des associations de collaboration telles que l’Alliance pour le recyclage du plastique en Afrique et le Groupe consultatif du secteur privé du Nigeria, qui sont des instruments d’action collective sur les questions clés du développement durable, de la pollution par le plastique à la malnutrition.

La dynamique habituelle de la RSE semble fonctionner avec les réponses à la COVID‑19 : les entreprises font généralement cavalier seul sous leur propre logo et déploient des solutions fragmentées.

Cela fait longtemps que les entreprises doivent prendre des engagements à long terme, collaboratifs et systémiques pour s’attaquer à la pauvreté structurelle et aux défis connexes du développement durable. Les dommages causés par la COVID-19 sont accentués par des difficultés préexistantes telles que l’insécurité alimentaire, les mauvaises conditions de logement, le manque d’accès à des soins de santé de qualité et le chômage des jeunes.

Voici à quoi pourrait ressembler une telle approche nécessaire dans le domaine de la sécurité alimentaire.

La COVID-19 exacerbe une insécurité alimentaire de longue date

La COVID-19 a amplifié l’insécurité alimentaire existante, qui touchait déjà un cinquième de la population en Afrique subsaharienne. La sécurité alimentaire est atteinte « lorsque tout le monde a physiquement et économiquement accès en tout temps à une nourriture suffisante, saine et nutritive qui répond à leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ».   

L’agriculture africaine est centrée sur les petites exploitations agricoles, qui ont longtemps souffert de sous-investissement et d’une faible productivité. Les agriculteurs éprouvent des difficultés pour accéder à de nombreuses ressources fondamentales, notamment des intrants de qualité (semences et engrais), l’éducation par le biais de services de vulgarisation agricole, le financement, le stockage, la logistique et le transport.

Voici un exemple de la manière dont cela se passe. Les pays africains – le Cameroun, le Ghana, le Malawi et le Nigeria – produisent plus de la moitié du manioc dans le monde, une culture de base. Cependant, 30 % à 40 % de la récolte totale de manioc est gaspillée à défaut d’installations appropriées pour stocker cette culture hautement périssable après la récolte. En même temps, d’énormes essaims de criquets pèlerins ont détruit une grande partie des terres agricoles dans huit pays d’Afrique de l’Est.

Les mesures de confinement pour contenir la COVID ont interrompu ces systèmes déjà précaires de production et de distribution alimentaire. Les agriculteurs ne parviennent pas à vendre leurs récoltes, ce qui accentue leur pauvreté et entraîne une plus grande dépendance vis-à-vis des importations alimentaires extérieures. Mais ces importations ne sont plus disponibles en raison des restrictions liées à la COVID sur les exportations alimentaires dans les pays fournisseurs tels que le Vietnam et l’Inde. La pénurie qui en résulte fait en sorte que les aliments de base sont devenus trop chers pour de nombreux ménages, ce qui a entraîné une augmentation de la sous-alimentation.

Les entreprises peuvent renforcer la chaîne de valeur alimentaire

L’aide humanitaire momentanée est utile pour faire face aux défis immédiats en matière de sécurité alimentaire. Mais les programmes et les investissements en matière de RSE devraient se concentrer sur le renforcement de la chaîne de valeur alimentaire, depuis ses racines dans les exploitations agricoles principalement rurales jusqu’à la table.

Les entreprises, en particulier celles des secteurs financier et des produits alimentaires et des boissons, peuvent, grâce à des initiatives et des investissements en matière de RSE :

  • élargir les possibilités de financement pour les agriculteurs;

  • créer un accès à une formation appropriée et à des outils pour améliorer les pratiques agricoles;

  • investir dans la logistique, le transport et les systèmes de stockage;

  • améliorer l’accès aux marchés de détail à des prix équitables.

Ces efforts devraient permettre d’étendre les expériences prometteuses des entreprises sociales telles que le One Acre Fund en Afrique de l’Est et Babban Gona en Afrique de l’Ouest. Ces entreprises sociales ont des modèles commerciaux ancrés dans les économies rurales qui mettent en lien l’expertise et les ressources des entreprises avec les agences gouvernementales, les groupes communautaires, les acheteurs multinationaux de produits alimentaires et les partenaires de développement internationaux. Les agriculteurs sont en mesure d’accroître leur productivité en tirant parti d’intrants de grande qualité (semences, engrais, etc.), de formations agricoles et d’un soutien logistique pour acheminer leurs produits vers les marchés. L’augmentation des revenus agricoles soutient la consommation des ménages et d’autres activités.

Ce recentrage de l’attention et des ressources peut permettre aux Africains de sortir de la crise de la sécurité alimentaire actuelle et de renforcer leur résilience en vue d’un avenir durable. La crise du coronavirus nous enseigne qu’il est essentiel que les entreprises adoptent une vision à long terme et une approche systémique pour lutter contre la pauvreté, qu’elles forgent de nouvelles alliances d’entreprises et des modèles commerciaux inclusifs pour le bien commun, et qu’elles perturbent et transforment les systèmes défaillants de prestation de services publics et de création de valeur.

À propos de l’auteur

Dr Ijeoma Nwagwu est membre de la faculté de leadership et de stratégie en matière de développement durable à l’école de commerce de Lagos. Dans le cadre du Centre de développement durable de l’école de commerce de Lagos, Dr Nwagwu a dirigé et étudié des projets de développement social impliquant des entreprises, des collectivités, des fondations privées ainsi que des organismes à but non lucratif et gouvernementaux.


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