Les produits équitables stimulent les profits : le cas de la TeamBank
Comment associer développement durable et rentabilité pour les entreprises ?
Un récent article publié dans la Harvard Business Review montre que les consommateurs récompensent les entreprises qui offrent des produits équitables – même dans des industries sensibles aux prix tels que les services bancaires aux particuliers.
« Cette étude montre que les entreprises n’ont pas besoin de choisir entre le développement durable et la rentabilité, explique Rémi Trudel, professeur de marketing à la Boston University School of Management et rédacteur spécialisé en consommation responsable du Réseau entreprise et développement durable (REDD). Les achats des consommateurs marquent le début et la fin de l’analyse de rentabilité du développement durable. »
Le chercheur Christoph Loch et ses collègues ont étudié la TeamBank, une filiale du groupe allemand Volksbanken Raiffeisenbanken (VR). Le groupe VR est le troisième plus grand fournisseur de services financiers aux particuliers en Allemagne et affiche un bilan de 7,3 milliards d’euros. En 2006, la TeamBank a lancé une stratégie fondée sur l’équité et la transparence afin de créer un avantage concurrentiel dans un marché très sensible aux prix. L’entreprise a résumé sa promesse de marque dans la devise suivante : « Nous sommes des commerçants honorables ».
Qu’est-ce que des produits financiers « équitables »?
Les études de marché effectuées par la TeamBank ont révélé que si les consommateurs allemands réagissent favorablement aux bas prix, ils apprécient également l’« équité » – concept vague au départ que la TeamBank a concrétisé en un éventail de produits et de pratiques particuliers. EasyCredit, produit vedette de la banque, ne contient aucuns frais ni pénalités cachés, offre un service personnalisé et des options de remboursement souples et évalue le risque de crédit en fonction de la situation particulière du client plutôt que de données socioéconomiques. Les prêts accordés s’accompagnent de taux d’intérêt plus élevés que ceux offerts par la plupart des concurrents de la TeamBank, mais les consommateurs semblent intéressés à acheter : en 2011, l’entreprise a réalisé une croissance de 17 %, malgré la stagnation du marché.
Comment transformer une banque?
L’entreprise a réalisé une transformation interne autant qu’externe. En même temps qu’elle mettait en œuvre sa stratégie de marketing fondée sur la transparence et l’équité pour attirer des clients, la TeamBank a également modifié son organisation et sa culture de manière à renforcer sa marque. Dans un premier temps, la banque a commencé par changer son nom, de Norisbank à TeamBank. Elle a ensuite mis en place un ensemble de valeurs essentielles, incluant des engagements tels que : « Nous assumons nos responsabilités (nous nous efforçons de toujours trouver une solution) » et « Nous gagnons votre confiance (nous tenons nos promesses) ». L’entreprise a adopté des valeurs telles que le travail d’équipe – elle a par exemple instauré un uniforme semblable pour tous ses employés, quel que soit leur rang. Elle a également renforcé sa marque en décidant de renoncer à certains produits : par exemple, la banque n’offre pas de crédit au point de vente, qui est souvent associé aux achats de voiture et d’autres articles coûteux. L’entreprise pense que les consommateurs utilisent souvent ce type d’offres de crédit pour effectuer des achats qu’ils regrettent par la suite ou qu’ils ne peuvent pas vraiment se permettre.
Les produits équitables stimulent les profits
Aujourd’hui, EasyCredit affiche un taux de défaut de paiement nettement inférieur à la moyenne du secteur du crédit à la consommation. Néanmoins, la banque continue de chercher des façons d’accroître sa rentabilité. Les nouveaux produits sont dans un premier temps mis à l’essai dans les cinquante-huit « magasins de crédit » (comptoirs) de la TeamBank, où les directeurs du marketing évaluent les produits dans le cadre d’interactions en personne avec les clients. Par ailleurs, la banque accorde délibérément des prêts qui violent ses propres règles de prise de décision afin de mettre à l’essai et de parfaire ses critères de risque de crédit. Un conseil consultatif, composé de clients de la TeamBank, offre une rétroaction continue et contribue à renforcer le niveau élevé d’engagement de la banque à l’égard des clients. Aujourd’hui, la TeamBank est en passe de devenir le principal fournisseur de prêts en espèces en Allemagne. Elle étend son réseau dans les pays voisins et envisage d’élargir sa gamme de produits – sans rien sacrifier à son engagement à l’égard du développement durable.
« Ce qui est intéressant dans ce cas, c’est que les consommateurs n’ont aucun avantage ostentatoire à choisir la TeamBank plutôt qu’une autre solution moins coûteuse, explique M. Trudel. Dans le cas d’entreprises de produits de consommation telles que Patagonia, les consommateurs affichent leur achat responsable aux autres en portant leurs vêtements. Mais dans le cas d’une banque, la consommation responsable est invisible. Les clients de la TeamBank choisissent véritablement l’équité au détriment du prix — sans qu’ils n’en retirent aucun avantage social observable. »
Chefs d’entreprise et gestionnaires : ce qu’il faut retenir
Le développement durable et la rentabilité ne sont pas nécessairement mutuellement exclusifs. Grâce à une planification et une mise à exécution soigneuse, les entreprises peuvent se transformer et prospérer – même dans un marché sensible aux prix et une industrie sceptique face au concept d’équité. « Les consommateurs votent avec leur portefeuille, dit M. Trudel. La clé est de comprendre ce que les consommateurs apprécient et la psychologie qui motive leurs choix. »
Entrevue avec Diane Kilcoyne, vice-présidente adjointe, Stratégie d’entreprise et Développement durable, Canadian Tire
Le REDD a demandé à Diane Kilcoyne de réagir à cette étude et si elle la juge pertinente pour son entreprise.
REDD : Comment ces conclusions peuvent-elles s’appliquer à Canadian Tire ? Le développement de « produits équitables » est-il pertinent en dehors du secteur des services financiers?
DK : Je pense que le concept peut s’appliquer en dehors du secteur des services financiers, mais que tout dépend du produit et du consommateur. Par exemple, un grand nombre de consommateurs sont disposés à renoncer à « faire une affaire » sur une nouvelle voiture afin d’éviter le marchandage : ils préfèrent les concessionnaires qui offrent un prix fixe où ils n’ont pas besoin de marchander. Et les produits de la TeamBank constituent des exemples de produits qui répondent à une préoccupation des clients (inquiétude à mon sens courante avec les produits financiers). Les clients craignent que l’entreprise ne profite d’eux en leur cachant des choses dans le texte en petits caractères des contrats de prêt, qui couvre généralement plusieurs pages et qui comporte souvent de nombreux passages incompréhensibles. Les consommateurs sont probablement disposés à payer plus cher pour éviter des surprises s’ils ne lisent pas (ou craignent de ne pas avoir compris) le texte en petits caractères.
Je pense que les produits environnementaux comportent des avantages différents. En termes de « produits équitables », Canadian Tire se penche actuellement sur les façons de réduire la confusion des clients entourant les fausses allégations de produits « verts ». Nous nous sommes engagés à effectuer des déclarations environnementales crédibles et spécifiques, même si cela signifie que nous ne pouvons pas afficher une longue liste de produits écologiques. Mais je ne suis pas certaine que notre engagement portera fruit, puisque tout dépend de la mesure dont les consommateurs se soucient des avantages pour l’environnement. Nos recherches montrent que nos clients (et les Canadiens en général) se soucient de l’environnement, mais pas au point de payer plus cher pour un avantage environnemental. La différence avec les produits financiers est que les consommateurs semblent prêts à payer davantage pour éviter des surprises telles que des frais supplémentaires ou de se faire duper et dépasser leur capacité financière.
REDD : Existe-t-il certaines catégories de produits qui sont plus facilement « équitables » que d’autres? P. ex., les clients veulent que leurs pièces automobiles aient une longue durée de vie et soient durables, mais acceptent-ils un certain niveau d’obsolescence pour certains articles ménagers à faible prix (ou s’y attendent)?
DK : Je ne peux que vous offrir opinion personnelle en réponse à cette question étant donné que je ne dispose pas de recherches sur la perception des consommateurs de la durabilité ou de l’obsolescence. Un grand nombre de nos clients sont sensibles aux prix et recherchent des produits qui fonctionnent bien à moindre prix. Dans le domaine des produits environnementaux, nous remportons davantage de succès lorsque nous parvenons à associer le rendement environnemental à un avantage financier (p. ex. facture d’électricité réduite pour les produits Energy Star) ou à un avantage personnel (p. ex. des produits nettoyants sans produits chimiques toxiques qui sont bons pour la santé de la famille). Nos clients ne sont pas réellement intéressés à sauver l’environnement en soi. Étant donné que nous sommes un détaillant généraliste, notre éventail de produits ne fait pas l’objet d’une stratégie de « créneau ». Nous avons tendance à proposer des produits jugés bons/meilleurs/supérieurs dans chaque catégorie, ce qui signifie que certains produits sont de meilleure qualité et par conséquent généralement plus chers. Les consommateurs intéressés par le développement durable ou la valeur à long terme ont tendance à choisir des produits plus haut de gamme, mais ces clients ne constituent pas la majorité.
REDD : Notre rédacteur Rémi Trudel a décrit comment certains consommateurs achètent des produits responsables parce qu’ils veulent montrer (ou afficher) leur consommation responsable aux autres. Les clients de Canadian Tire correspondent-ils à cette description?
DK : À ma connaissance, la consommation responsable n’est pas le principal identificateur de notre clientèle cible. Mais cela ne signifie pas pour autant que ce ne soit pas une caractéristique de certains de nos clients! Je pense également qu’un grand nombre de clients choisissent discrètement des produits responsables – par exemple, des produits nettoyants non toxiques, que les autres ne voient jamais (à moins que leurs amis ne viennent fouiller dans leurs armoires lorsqu’ils sont invités à souper).
REDD : Avez-vous autre chose à ajouter?
DK : Je pense qu’il est un peu exagéré de déclarer qu’« équitable » et « durable » signifient la même chose. La conclusion du résumé de la recherche affirme : « Principaux points saillants : le développement durable et la rentabilité ne sont pas nécessairement mutuellement exclusifs ». Je ne suis pas surprise que les consommateurs répondent positivement à des produits équitables, surtout dans le secteur des services financiers, qui vient de survivre à un crash financier essentiellement provoqué par le fait que les grandes banques ont contourné ou enfreint la loi. Les consommateurs sont probablement très favorables à un produit financier qui leur promet d’être équitable!
Mais quand je pense au développement durable, « équitable » n’est pas la première caractéristique qui me vienne à l’esprit. Pour moi, le développement durable consiste davantage à réduire son impact environnemental en termes d’émissions de gaz à effet de serre, de pollution aquatique et atmosphérique ainsi que de déchets. Si vous souhaitez commercialiser des produits « durables », vous créez une valeur différente pour le consommateur que si vous offrez des produits « équitables ». Selon mon expérience, le succès des produits durables repose sur l’importance que les consommateurs accordent à leur faible impact environnemental – soit parce que cela est intrinsèquement important pour eux ou parce que l’entreprise parvient à réduire les coûts en produisant des produits durables offerts à faible prix. En tant que consommatrice qui apprécie personnellement les produits qui ont un faible impact environnemental, je constate que je dois généralement payer plus cher pour cet avantage. Il nous reste donc encore beaucoup de chemin à parcourir – car je sais que, malheureusement, la plupart des consommateurs ne sont pas disposés à payer un produit plus cher pour la seule raison qu’il est meilleur pour l’environnement.
Résumé et Entrevue Par
ANTHEA ROWE ET L'ÉQUIPE DU REDD
Source
Christoph H. Loch, Fabian J. Sting, Arnd Huchzermeier, and Christiane Decker, “Finding the Profit in Fairness.” Harvard Business Review (septembre 2012), pp. 111-115.