Améliorer la transparence dans la reddition de compte

Les organisations investissent des ressources considérables dans la production de rapports de développement durable. Bien qu’il y ait des avantages à ces rapports, des doutes persistent quant à leur promesse de transparence.

C’est ce qui a inspiré les chercheurs Samuel Tang et Colin Higgins à s’intéresser à comment les entreprises peuvent améliorer la transparence de leurs rapports de développement durable. Ils ont analysé comment dix grandes entreprises tentent d’améliorer leur reddition de compte et leur transparence.

 

Transparence et rapports de développement durable

Les rapports de développement durable sont devenus une approche courante pour encourager la transparence des entreprises. Les organisations divulguent publiquement, de façon volontaire, leurs impacts économiques, sociaux et environnementaux en fonction d’indicateurs et de priorités dans des publications qui y sont dédiées.

La transparence est le fondement de la dimension publique des rapports de développement durable et guide ce qui est divulgué. Elle nécessite de divulguer ouvertement des informations fiables et opportunes que les parties prenantes peuvent utiliser dans la prise de décision. Les informations sur la performance sociale peuvent, par exemple, influencer les candidats dans le choix d’un emploi, alors que les décisions d'achat des clients peuvent être fonction de la gestion des impacts sociaux et environnementaux d’une organisation.

Malgré l'enthousiasme suscité par les rapports sur le développement durable, leurs résultats sont incertains en matière de transparence. Il y a peu de preuves que les parties prenantes lisent les rapports ou les trouvent utiles. [1] Beaucoup considèrent que les rapports sont trop denses, mal ciblés, remplis de jargon, difficiles à comparer et qu’ils manquent de fiabilité et de précision. Ils contiennent souvent une grande quantité d'informations dont la signification n'est pas toujours claire. Il peut également être difficile de déterminer si les indicateurs de performance sélectionnés sont les plus pertinents pour les impacts de l'organisation. [2] Ceci fait en sorte que l'effort investi par les organisations dans la divulgation est parfois considéré comme vain et que les parties prenantes ne parviennent pas nécessairement à obtenir les informations dont elles ont besoin.

Transparence, confiance et reddition de compte

La recherche sur la manière d'améliorer les rapports de développement durable et la transparence néglige l’importance de la confiance.

Alors que la plupart des recommandations sur la façon d'améliorer les rapports et la transparence se concentrent sur ce qui est rapporté (le « quoi »), l'importance de la confiance attire l'attention sur la façon dont une organisation rend des comptes (le « comment »). Les rapports de développement durable courants peuvent répondre aux attentes de certaines parties prenantes et aider à établir la confiance, mais d'autres approches sont aussi nécessaires pour rejoindre d’autres parties prenantes.

Comment manœuvrer la relation entre la confiance et la transparence? Les chercheurs ont étudié comment les grandes entreprises utilisent différentes approches de reddition de compte pour établir la confiance nécessaire à l'amélioration de la transparence. Les organisations qu’ils ont étudiées sont les 10 premières entreprises du Fashion Transparency Index 2020. Cet index évalue et classe les entreprises en fonction de leur divulgation des politiques, pratiques et impacts sociaux et environnementaux.

4 approches pour la reddition de compte

Leur analyse révèle que les grandes entreprises utilisent quatre approches distinctes de reddition de compte pour améliorer la transparence et générer des relations de confiance avec les parties prenantes. Ces approches sont : la présentation visuelle des données et localisation; un contenu interactif axé sur les parties prenantes; les médias et contenus immersifs; et l’apprentissage, les leçons et les perspectives. Les prochains paragraphes décrivent chacune d’elle et présentent des exemples tirés des entreprises étudiées.

La présentation visuelle des données et leur localisation

Les entreprises vont plus loin que la présentation statique de données dans les rapports de développement durable. Des informations sur le développement durable sont placées dans les vitrines des boutiques en ligne destinées aux clients, des techniques de présentation visuelle et d'animation sont utilisées et des données supplémentaires sont consultables en accès libre (open-source).

Intégration dans les « vitrines » en ligne destinées aux clients

Patagonia fournit des notes détaillées sur ses produits à côté de chaque produit sur la vitrine en ligne. Les notes décrivent les matériaux utilisés, les processus de production et d'approvisionnement des matériaux, les mesures pour réduire leur impact et des informations sur le fournisseur. Ce type de divulgation positionne les données d'impact et de performance là où les parties prenantes concernées peuvent les trouver et les associe au produit considéré par la personne. Le placement dans la vitrine en ligne garantit l'accessibilité et la pertinence, et l'étendue des détails permet de démontrer la compétence technique et managériale.

  • H&M fournit un lien direct vers leur gamme de vêtements durables sur leur site Web destiné au développement durable. Ils fournissent également des informations détaillées sur les produits, incluant des informations sur la durabilité. Sont par exemple précisées des options de lavage et de séchage pour réduire les impacts, l'innovation dans les matériaux achetés et utilisés, et les mesures prises pour réduire les impacts dans le processus de fabrication. Des options sont également offertes aux clients pour recycler les vêtements dont ils ne veulent plus.

Présentation visuelle et animation

PVH Corp (propriétaire de Calvin Klein, Tommy Hilfiger et Van Heusen) utilise des pictogrammes qui relient l'organisation à d'importants problèmes sociaux (par exemple, les salaires décents). La divulgation inclut des graphiques sur les salaires versés dans plusieurs emplacements géographiques, les moyennes sectorielles spécifiques à chaque pays et les salaires minimaux légaux dans chaque juridiction. Les pictogrammes améliorent la clarté, car ils sont faciles à lire et permettent d’exprimer une grande quantité d'informations de façon simple.

  • Le détaillant de mode européen C&A a recours à l'animation. Ils présentent des informations dynamiques sur la façon dont leurs objectifs climatiques et leurs performances en matière d'émissions ont évolué au fil du temps par portée, segments de la chaîne de valeur (conception, matières premières, traitement des matériaux, transport), matériaux utilisés et une estimation des activités d'utilisation des consommateurs (lavage et séchage).

Données supplémentaires en accès libre (open-source)

Les entreprises produisent des données supplémentaires qui peuvent être téléchargées, sont mises à jour fréquemment, et dont les mesures et calculs sont faciles à comprendre. Elles incluent des documents supplémentaires, des études de cas et leurs soumissions aux indices de notation et aux agences de normalisation. Marks & Spencer produit un document complémentaire détaillé. Ce document définit chaque indicateur de développement durable utilisé et décrit ses sources de données, ses unités d'analyse, ses données de base et sa méthodologie. Les études de cas sont aussi largement utilisées. Celles-ci enrichissent la divulgation en incluant les délibérations, les choix et les interrelations entre les résultats.

 

Un contenu interactif axé sur les parties prenantes

Les entreprises vont au-delà du rapport de développement durable statique et incluent du contenu interactif axé sur les parties prenantes qui permet une divulgation des données détaillées et personnalisées en fonction des enjeux et impacts qui les intéressent.

« Cliquer et explorer » pour des données personnalisées

Kontoor Brands et C&A utilisent des approches « cliquer et explorer » afin de permettre aux parties prenantes de produire des informations détaillées sur les fournisseurs, leur pays d'activité, le nom et l'adresse de l'usine, le type d'usine, le type de produit, le nombre de travailleurs et la relation entre l'usine et les fournisseurs (par exemple, contractuelle ou propriétaire). Nike inc. inclut des détails sur les caractéristiques des travailleurs de l’usine (par exemple, le nombre et les rôles des travailleurs masculins et féminins).

  • VF Corporation permet au lecteur de cliquer et explorer une usine de façon à vérifier ses certifications, par exemple sur les matériaux durables, la gestion environnementale, la santé et sécurité et la responsabilité sociale. Sont aussi inclus les programmes de bien-être des travailleurs et de développement communautaire, ainsi que les systèmes de gestion environnementale. Marks & Spencer permet aux parties prenantes d'enquêter sur les données des employés et syndicats de l'usine, en plus de fournir des détails supplémentaires, comme les certificats de conformité des fournisseurs aux normes de développement durable.

Traçabilité de la performance et des impacts des produits

Quelques entreprises, y compris H&M, proposent aux clients un onglet « présentation du produit » pour en savoir plus sur les enjeux environnementaux associés à chaque vêtement. Cet onglet fournit des informations sur les matériaux utilisés, l'objectif de l'entreprise en matière de matériaux issus de sources durables, le nom, l'adresse et le nombre de travailleurs dans l'usine de chaque fournisseur, ainsi qu'un aperçu de l'engagement du fournisseur envers des salaires et conditions de travail équitables.

  • VF Corporation inclut des cartes de traçabilité pour une sélection de ses produits. La carte illustre la chaîne d'approvisionnement mondiale du produit (incluant des détails pour les usines de fabrication, les usines de textile, les fournisseurs de matériaux, les centres de distribution) et les principales caractéristiques de durabilité (par exemple, efficacité énergétique, matériaux recyclés, communauté, produits chimiques), ainsi que la date de mise à jour des informations.

 

Les médias et les contenus immersifs

De plus en plus, les entreprises intègrent des vidéos, des longs métrages et d'autres contenus immersifs pour divulguer les enjeux et impacts, ainsi que pour expliquer les défis à relever. Ce type de multimédia offre une expérience immersive, engageant les parties prenantes d’une façon autre que le texte ou les images fixes.

Vidéo et longs métrages

Certaines entreprises, dont Nike inc. et Adidas Group, ont des microsites Web avec de courtes études de cas vidéo. La vidéo de Nike inc. sur la conception circulaire, par exemple, explique le concept, présente des pratiques innovantes et illustre comment le principe est intégré à différentes étapes du cycle de vie d'un produit. Une autre vidéo montre comment les employés prennent des décisions basées sur la conception circulaire, offrant des informations candides sur les expériences vécues des employés et sur ce que la circularité signifie pour eux.

  • D'autres, comme Patagonia, produisent des longs métrages qui explorent d'importants débats sociaux et environnementaux et expliquent comment l'entreprise les aborde. Un film porte sur les implications environnementales et sociales des industries extractives opérant dans la région de Takayna/Tarkine, dans le nord-ouest de la Tasmanie, en Australie. Ce film partage les récits contradictoires des communautés aborigènes, des militants et des résidents locaux qui dépendent de l'industrie extractive pour les emplois et leur bien-être. La vidéo explique aussi comment et pourquoi Patagonia est impliquée.

Contenu multimédia immersif

Cette approche est utilisée par Patagonia qui offre une expérience immersive du Bears Ears National Monument dans l'Utah, aux États-Unis. Cette expérience de réalité virtuelle place les spectateurs dans le parc national pour faire l'expérience de la menace que le développement fait peser sur le patrimoine culturel et de la valeur écologique et récréative de celui-ci.

 

L’apprentissage, les leçons et les perspectives

Outre la communication de données sélectionnées qui mettent en valeur les bonnes pratiques, ces entreprises expliquent aussi leur implication dans des pratiques non durables. Les problèmes sont reconnus, les raisons pour lesquelles ils ne sont pas résolus sont expliquées, ainsi que les raisons de la poursuite de ces pratiques.

Patagonia reconnaît ouvertement que les finitions fluorées DWR (un hydrofuge durable) de certains de leurs vêtements contiennent des substances nocives pour l'environnement qui ne sont pas biodégradables. Plutôt que de ne pas divulguer ou d’établir un objectif de réduction, Patagonia explique pourquoi ils utilisent encore cette finition, décrivent les décisions prises et l'état des connaissances scientifiques actuelles. Ceci améliore la divulgation, en particulier l'exhaustivité, et donne également un aperçu de la façon dont les problèmes sont pris en compte par les gestionnaires et influencent la prise de décision.

  • Le groupe H&M réfléchit à l'impact environnemental de la consommation de plastique de son industrie et à la quantité croissante de déchets plastiques issus du commerce électronique. Leur approche décrit un test pilote de solutions d'emballages réutilisables et recyclables fait de papier certifié plutôt que de plastique et explique comment cette activité contribue à leurs objectifs de développement durable. La divulgation de H&M inclut des informations sur « les apprentissages et l'avenir » qui mettent en évidence les impacts négatifs et les défis associés à leurs vêtements. Ils soulignent, par exemple, que les outils tels que les sacs pour la lessive ne fournissent pas de solution à long terme aux émissions des microfibres. Ils mettent en évidence la nécessité de continuer à rechercher de nouveaux matériaux et processus et décrivent les actions en cours.


Les approches utilisées par les entreprises étudiées pour la reddition de compte sont nombreuses et variées. Ces approches vont au-delà des directives et cadres de divulgation traditionnels et sont des exemples inspirants de « comment » l’entreprise peut divulguer différemment de façon à améliorer la transparence et établir la confiance. Enfin, bien que certaines des approches utilisées ne soient pas nécessairement nouvelles ou uniques, c'est leur combinaison qui offre le potentiel d’améliorer la transparence.

Références

Tang, S. & Higgins, C. (2022). Do Not Forget the “How” along with the “What”: Improving the Transparency of Sustainability Reports. California Management Review, 65(1), 44-63. doi : https://doi.org/10.1177/00081256221094876

[1] Etzioni, A. (2010). Is Transparency the Best Disinfectant? Journal of Political Philosophy, 18(4), 389-404. doi : http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.2731880

[2] Higgins, C., Tang, S. et Stubbs, B. (2020). On Managing Hypocrisy: The Transparency of Sustainability Reports. Journal of Business Research, 114, 395-407. doi : https://doi.org/10.1016/j.jbusres.2019.08.041


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