Prise de risques et activités irresponsables des entreprises

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L’incitation à la prise de risques des dirigeants favorise les activités socialement irresponsables des entreprises.

La plupart des cadres dirigeants de grandes entreprises reçoivent des bonus sur l’atteinte des objectifs financiers des entreprises qu’ils représentent. Cette dynamique incite à prendre des risques pour maximiser les gains de l’entreprise, ce qui est profitable pour les actionnaires.

On sait que ces incitations à la prise de risques sont couramment intégrées dans le système de rémunération des dirigeants sous la forme d’actions et d’options sur le capital de l’entreprise. L’objectif de cette pratique est d’aligner les intérêts financiers des cadres dirigeants avec ceux des actionnaires en bâtissant une convergence de leurs intérêts commun; soit la maximisation de la valeur de l’entreprise.

Et si ces mécanismes entrainaient également une augmentation des activités socialement irresponsables de l’entreprise ?

C’est ce que démontre l’étude « CEO risk-taking incentives and socially irresponsible activities » qui est basée sur un large échantillon d’entreprises américaines entre 1992 et 2012, réalisée par les professeurs Bouslah, Liñares-Zegarra, M'Zali (AICRI ESG UQÀM), et Scholtens; et qui s’est vue décernée le prix de la meilleure recherche en investissement responsable en 2018 par IFD-PRI et Finance Montréal.

En opposition à la responsabilité sociale des entreprises (RSE), l’étude définit les actions socialement irresponsables comme les activités d’une entreprise qui ont des conséquences négatives sur la société et/ ou sur l’environnement.

Pour la période avant la crise de 2007-2008, les chercheurs ont démontré un lien direct entre les incitations à la prise de risques des cadres dirigeants et l’augmentation des comportements socialement irresponsables. Les résultats pour la période sont sans appel : Aligner les intérêts financiers des actionnaires avec ceux des dirigeants encouragent les dérives éthiques dans les prises de décisions.

La crise financière de 2008 semble avoir marqué un virage puisque le lien entre la rémunération des dirigeants, leurs prises de risques et implications dans des activités socialement irresponsables a depuis disparu. Les auteurs l’expliquent par une prise de conscience des risques extra-financiers des activités irresponsables, par les conséquences accrues d’une mauvaise réputation ou encore par les réactions des parties prenantes (clients, investisseurs, communautés locales, etc.). Cette crise financière a également entrainé l’accroissement des systèmes de surveillance.

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, l’étude révèle également que le lien entre la prise de risques et les activités socialement irresponsables est plus fort lorsque les entreprises sont également impliquées (ou l’étaient historiquement) dans des activités socialement responsables. Comme si l’entreprise disposait d’un certain « capital social » et s’octroyait alors le droit de participer à des activités socialement irresponsables.
La RSE serait-elle perçue comme « compensatoire » par certains dirigeants ?

Franchir la ligne rouge de l’éthique serait donc plus courant de la part d’entreprises qui prennent pourtant en considération tous les impacts de leurs activités.

Selon les chercheurs de cette étude, les activités socialement irresponsables sont également plus élevées lorsque l’entreprise connaît :

  • Une taille plus importante

  • Des investissements plus élevés en R&D

  • Un surplus de trésorerie réduit

A l’inverse, les entreprises seraient moins irresponsables lorsque les cadres dirigeants sont jeunes et disposent d’un long mandat. Comme nous l’avions exposé dans une étude précédente, le raccourcissement des horizons des PDG augmente également les risques liés à l’information et entraine des coûts d’investissements supplémentaires. En 20 ans, la durée moyenne du mandat de PDG est pourtant passée de huit ans à moins de quatre ans.

Dans l'ensemble, les résultats présentés dans cette étude ont des implications majeures pour la gouvernance des organisations. Ils suggèrent que les intérêts financiers des cadres dirigeants ne devraient pas être strictement alignés avec ceux des actionnaires via des outils comme les options qui peuvent avoir un effet pervers.

Certaines sociétés comme Engie en France vont plus loin en intégrant une part variable des salaires de leurs dirigeants selon les critères de performances extra-financières, notamment par l’atteinte des objectifs RSE et non sur les seuls bénéfices financiers réalisés.

Cette initiative ouvre la voie à des pratiques corporatives plus responsables et laissent envisager que l’entreprise pourrait contribuer davantage au bien commun. Une invitation à tous les dirigeants !

Retrouvez l’étude complète ici.


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